Nomination MIDA : Kasr Al Bahr, un récit marocain entre héritage et horizon (Studio Nazarian Architecture)

Nominé aux Moroccan Interior Design Awards 2025, le Four Seasons Kasr Al Bahr s’impose comme l’un des projets les plus sensibles de l’année : un lieu où l’architecture dialogue avec la mémoire, où la matière raconte le Maroc contemporain, et où la lumière de l’Atlantique devient un fil narratif. À travers cette interview, le studio Nazarian Architecture révèle les intentions, les tensions et les gestes qui ont fait de cette réhabilitation historique un manifeste de design marocain : entre respect, audace et émotion.

MIDA // Que représentent pour vous les Moroccan Interior Design Awards (MIDA) ?

Roger Nazarian : Une telle reconnaissance est toujours précieuse, car elle émerge du regard de professionnels, de pairs et d’acteurs engagés. Au-delà du prix, les MIDA incarnent un moment de dialogue entre générations, styles et approches. C’est aussi une manière de faire rayonner, à travers un projet, l’art de vivre marocain dans sa richesse contemporaine.

MIDA // Quelle atmosphère souhaitiez-vous insuffler dès le premier pas du visiteur ?

R.N : Dès l’entrée, nous avons cherché à éveiller un sentiment de calme et de noblesse. L’architecture s’efface parfois pour laisser place à l’émotion du lieu : la lumière de l’Atlantique, la pierre ancienne, l’écho d’une mémoire impériale. Le lobby mêle tradition et sobriété contemporaine ; chaque espace agit comme un chapitre d’un manuscrit enluminé.

MIDA // Comment avez-vous abordé les contraintes patrimoniales du site ?

R.N : L’histoire du site est exceptionnelle : un ancien Palais d’été, un hôpital militaire français (Marie Feuillet, construit en 1910 et actif jusqu’en 1998), puis un lieu abandonné face à l’océan. Cette complexité est devenue une matière créative. Chaque bâtiment a été abordé comme un fragment à révéler, restaurer, prolonger ou réinterpréter. Le Riad historique du Sultan Moulay Ismaïl, par exemple, est resté le cœur poétique du projet.

MIDA // Comment avez-vous concilié votre signature avec l’esprit du lieu ?

R.N : Notre studio a une ligne claire : mettre en tension la sobriété des formes avec l’expressivité des matières. À Rabat, cette philosophie s’est incarnée dans un dialogue permanent avec les artisans locaux. Le marbre, le bois de cèdre, le zellige, la tadelakt gravée, les tapis et luminaires faits main ont été pensés comme des éléments vivants du récit marocain. Même les extensions contemporaines du site évoquent par leur dessin la rigueur géométrique des Oudayas.

MIDA // En quoi l’approche marocaine diffère-t-elle d’autres pays méditerranéens ?

R.N : Le Maroc a cette capacité rare à conjuguer ancrage et ouverture. Ici, le geste créatif peut puiser dans des traditions millénaires tout en restant libre et contemporain. Le design marocain ne craint pas l’ornement, le rythme, les textures — mais il les réinvente constamment. Cette approche sensible, artisanale, narrative, le distingue profondément.

MIDA // Que pensez-vous de la nouvelle génération de créateurs ?

R.N : Elle est brillante, curieuse, et surtout audacieuse. Beaucoup de jeunes designers marocains n’ont pas peur de bousculer les codes. Leur regard sur la tradition est ludique, respectueux mais décomplexé. Ils savent que le vrai respect passe parfois par la réinvention.

MIDA // Que représente ce projet dans votre parcours ?

R.N : C’est un projet manifeste. Une synthèse de nos obsessions : le lien entre le passé et le futur, la matière et la lumière, le silence et la narration. Le Four Seasons Kasr Al Bahr est aussi un tournant humain : un chantier immense, dans un site fragile, avec des conditions complexes. Mais il nous a offert une liberté rare d’exprimer une vision.

“On pourrait en écrire des pages… mais il nous faut nous contenter ici d’une seule feuille A4.”

Le reste, nous l’avons confié aux murs.